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Femme à l’armée, homme au civil

Delphine Ravisé-Giard. Transgenre reconnue par son employeur, l’armée de l’air, cette adjudante - autrefois adjudant - s’est vu refuser son identité féminine par l’état civil
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Sur sa photo Face book, avec ses cheveux mi-longs, son visage aux traits fins et son mètre quatre-vingts, Delphine Ravisé-Giard à tout d’une femme.
Il ne lui manque plus qu’un état civil au féminin. Avant, Delphine s’appelait Thierry.

Cette militaire de carrière est transgenre : son apparence physique ne correspond plus à son sexe de naissance.

Mais le tribunal de grande instance (TGI) de Nancy vient de lui refuser son changement d’état civil au motif qu’elle «ne justifie pas du caractère irréversible de sa transformation physique homme-femme et notamment sexuelle».

En clair : pas d’opération chirurgicale, pas de nouvelle identité.

Pourtant, l’armée, que l’on n’imagine pas forcément laxiste en matière de changement de sexe, la considère déjà comme une femme.Delphine Ravisé-Giard, qui ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet, est engagée depuis plus de vingt ans dans l’armée de l’air.

A 39 ans, elle a le grade d’adjudante à Nancy. Longtemps, son unité l’a connu homme.

Il y a dix-huit mois, au retour d’un arrêt maladie, Delphine Ravisé-Giard décide de «reprendre son travail en femme», explique Stéphanie Nicot, la porte-parole de l’association Trans Aide, elle-même déboutée d’une requête semblable au printemps.

Delphine a suivi un traitement hormonal et s’est féminisée.

«Tolérance»

«Ses responsables ont alors pris acte de la situation, continue Stéphanie Nicot, et lui ont donné les moyens de travailler avec cette nouvelle identité.»

On lui fournit un uniforme féminin et des papiers militaires qui mentionnent son nouveau prénom.

«Elle a une identité de personnel militaire féminin, confirme le commandant Frédéric Solano, en charge du département médias à l’armée de l’air, et est considérée comme une adjudante femme.»

On peut parler d’une «tolérance locale», croit savoir Laurent Cyferman, son avocat.
Le retour de la militaire se passe bien : «Elle est très bien intégrée.

Au niveau de son travail et de son environnement, il n’y a aucun problème», assure Frédéric Solano. Du côté de l’association Trans Aide, on garantit que tout s’est bien passé.

Cependant, dans la vie quotidienne, Delphine rencontre régulièrement des difficultés, notamment lorsqu’il s’agit de présenter son permis de conduire, sa carte grise ou son passeport.

La militaire demande alors au TGI de Nancy que le changement de sexe et de prénom soient modifiés sur son acte de naissance.

Le 10 août, le jugement tombe. Négatif.En France, depuis une décision de la Cour de cassation en 1992, le changement de sexe à l’état civil n’est accordé par la justice qu’à certaines conditions.

Le demandeur doit présenter «le syndrome de transsexualisme», encore inscrit dans la catégorie des affections psychiatriques de longue durée.

En juin, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a d’ailleurs saisi la Haute autorité de santé en vue d’un décret le déclassifiant.

Le demandeur doit également avoir pris l’apparence physique de l’autre sexe, «à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique», précise le jugement du TGI de Nancy, que Libération s’est procuré.

Un simple traitement hormonal, tel que celui que Delphine Ravisé-Giard a suivi, ne suffit pas.
  «Delphine est une personne lucide qui ne nie pas son sexe de naissance mais a le genre d’un autre sexe», insiste Stéphanie Nicot.

Pas question pour elle de reconnaître un quelconque syndrome.

Elle n’est atteinte d’aucune «affection» et «le fait d’être opérée relève de sa vie privée», souligne son avocat.
«Cela ne regarde pas l’État»,
s’emporte la porte-parole de Trans Aide.
Delphine Ravisé-Giard
Delphine Ravisé-Giard
Acte militant ? «Non, répond l’association, c’est une question de dignité humaine.»

«Stérilisation»


Le tribunal considère que Delphine Ravisé-Giard refuse «le principe d’une intervention chirurgicale» puisqu’elle n’apporte aucun justificatif d’une telle opération et conserve par là même «des organes génitaux et reproducteurs masculins», détaille le jugement.

Selon Stéphanie Nicot, la justice a «l’honnêteté» de parler d’organe «reproducteur».

La militante est persuadée que «ce qu’ils veulent, c’est la garantie que l’on n’aura plus d’enfant».

En guise d’argument, la porte-parole de Trans Aide donne en exemple le cas (mentionné dans le jugement du 10 août) d’une femme devenue homme dont le changement d’état civil a été reconnu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2001.

Celle-ci avait conservé «un appareil génital externe de type féminin», mais avait subi une hystérectomie (ablation de l’utérus) et une annexectomie (ablation des trompes et des ovaires).

«L’assurance de la stérilité permet d’éviter de faire face à des situations d’homoparentalité biologiquement non discutables», conclut la porte-parole qui milite pour «un changement d’identité libre et gratuit sans obligation de stérilisation».

Et ne mâche pas ses mots :

«La stérilisation forcée pour obtenir un changement d’identité de toute une communauté est une ignominie.»

Delphine Ravisé-Giard fera très probablement appel du jugement.

En juillet, Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a déclaré que les personnes souhaitant «faire reconnaître leur identité de genre ne devraient pas être obligatoirement soumises à une stérilisation ni à aucun autre traitement médical».

Un jour, ce sera peut-être à la Cour européenne des droits de l’homme de trancher le cas des transgenres en France.


Par JULIA TISSIER
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